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 Un bébé gorille de montagne de la famille Rugendo dans les Virunga photographié par Xavier Gilibert d'Objectif Brousse

Au chevet des gorilles de montagne

12 Octobre 2019

(Photo : un jeune gorille de montagne de la famille Rugendo ; le Senkwekwe Center, nommé en mémoire du patriarche dos argenté de cette famille de gorilles qui fut décimée, est aujourd'hui un centre au Parc National des Virunga en République Démocratique du Congo qui accueille les gorilles de montagne orphelins et où a été prise la selfie devenue virale des soigneurs avec deux gorilles en position debout)

Après avoir rappelé en préambule le rôle crucial joué par les forêts tropicales pour la régulation du climat, nous vous présenterons le Congo qui est à la fois un fleuve géant d’Afrique Centrale, un bassin forestier et un pays (et même 2 pour être exact). Nous vous proposons ensuite de découvrir la formidable biodiversité locale dont quelques unes de ses espèces mythiques : l’okapi, l’éléphant de forêt, le rhinocéros blanc du Nord, les chimpanzés, les bonobos et les gorilles.

Pour nous accompagner dans la découverte de ces terres de légendes au riche patrimoine naturel et nous éclairer sur les multiples enjeux de leur préservation, nous avons recueilli les propos de Xavier GILIBERT, Président de l’ONG de terrain Objectif Brousse et passionné de nature qui travaille depuis des années au plus près des populations locales de la région et oeuvre notamment pour la protection du mythique gorille de montagne.

La dernière partie de ce dossier sera d’ailleurs consacrée à une interview de Xavier qui nous parlera de sa passion pour les gorilles et comment son association tente de relever le défi de la préservation de l’environnement dans un contexte local parfois chaotique et souvent dangereux, le tout illustré de rares photos prises par Xavier au fil de ses missions pour Objectif Brousse en République Démocratique du Congo et en Ouganda.

 Un gorille de Grauer photographié par Xavier Gilibert d'Objectif Brousse en République Démocratique du Congo

LES FORETS TROPICALES, POUMONS VERTS DE NOTRE PLANETE

(Photo : Le dos argenté Cimanuka, dont le nom signifie 'Celui qui surgit', un gorille des plaines de l'Est d'une des nombreuses familles habituées, dans le Parc National de Kahuzi Biega (PNKB))

A l’image de notre corps, la Terre respire grâce à deux poumons verts qui absorbent le CO2 mondial dégagé par les activités humaines. Si on connaît maintenant l’importance des forêt tropicales humides de l’Amazonie (et leur avenir plus que jamais incertain) il est une autre région du monde moins connue mais au rôle tout aussi crucial : la forêt équatoriale du  bassin du Congo en Afrique Centrale, le 2nd massif forestier tropical au monde (plus de 2 Millions de m2) et le 2ème poumon vert de la planète, qui représente à lui seul 8 % du gaz carbonique capturé par l’ensemble des forêts de la planète !

Partons à la découverte de cette région méconnue aux incroyables espèces endémiques et terres de combats quotidiens pour la vie et la conservation de la biodiversité.

Congo_Democratic_Republic_Map - Perry-Castañeda Library Map Collection - Wikimedia Commons - Public Domain

LA RDC, PAYS DES SUPERLATIFS AU PATRIMOINE NATUREL UNIQUE

(Image : Carte de la République Démocratique du Congo - Wikimedia Commons - Public Domain)

Le Congo désigne tout à la fois un fleuve immense, un bassin forestier et deux pays : la République du Congo aussi appelé Congo-Brazzaville, et la République Démocratique du Congo (RDC), sur laquelle se concentre cet article.

Ancienne colonie belge de 1908 à 1960 connue ensuite sous le nom de Zaïre jusqu’en 1997, la RDC est un immense pays d’Afrique centrale qui fait plus de 4 fois la taille de la France et le second plus grand pays du continent après l’Algérie. Francophone, c’est un des pays les plus peuplés d’Afrique qui compte plus de 80 Millions d’habitants de plusieurs  centaines d’ethnies différentes.

Le centre, le Sud et le Nord Est (région de la Garamba) du pays sont majoritairement recouverts de savanes. Bordée à l’Est par le grand rift africain, ses grand lacs mythiques et la chaîne volcanique des montagnes des  Virunga, la RDC est aussi l’hôte d’une grande portion du puissant fleuve Congo (parmi les plus profonds au monde avec un canyon sous-marin de plus de 200 m de fond !) et son bassin versant à l’Ouest du pays – le plus important sur la planète après l’Amazonie – qui irrigue au Nord une des plus anciennes forêts tropicales humides de la planète, la forêt du bassin du Congo.

Comme nous le précise Xavier ‘la particularité de la RDC c’est que c’est la plus grande forêt d’Afrique : la République Démocratique du Congo représente à elle seule plus de 50% des forêts d’Afrique, ce qui est assez exceptionnel. C’est aussi un pays qui a une biodiversité des plus rares et le seul pays au monde à compter quatre espèces de grands singes dont deux espèces endémiques !’.

Un crabe photographié à plus de 2.500 m d'altitude dans les Virunga par Xavier Gilibert d'Objectif Brousse

UNE GRANDE VARIETE DE BIOTOPES ET DE CLIMATS

(Photo : Une espèce encore jamais identifiée de crabe, photographiée par Xavier par... 2.500 m d'altitude !)

Avec sa variété de biotopes (savanes, zones humides, montagnes tropicales, forêt tropicale humide), de reliefs et de climats (tropical, équatorial et montagnard), la RDC est un formidable réservoir de biodiversité encore préservé, paradoxalement peut-être en raison de l’instabilité politique de la région qui selon Xavier a pu retarder l’exploitation de ses ressources à plus grande échelle, même si la déforestation par exemple y va bon train et menace sérieusement les écosystèmes forestiers.

Un bec-en-sabot du Nil photographié par Xavier Gilibert d'Objectif Brousse en République Démocratique du Congo

UNE BIODIVERSITE PARMI LES PLUS RICHES AU MONDE

(Photo : Un bec-en-sabot du Nil)

A titre d’illustration, le bassin du Congo compte par exemple 10.000 espèces de plantes (dont 1/3 sont endémiques), plus de 900 de lépidoptères (papillons), 1.000 espèces d’oiseaux (comme le paon du Congo, oiseau endémique et légendaire ou le mystérieux bec-en-sabot du Nil) ou encore 700 espèces de poissons d’eau douce parmi les plus étranges de la planète : redoutable poisson-tigre goliathdipneuste africain (un poisson étonnant capable de respirer à l’air libre et se mettre en sommeil dans un cocon de boue durant les périodes de sécheresse), poisson-éléphant (doté d’une trompe pour fouiller le sable et qui s’oriente dans les eaux troubles avec un système de sonar électrique basé dans sa queue) ou encore anguille épineuse des abysses (toute blanche et sans yeux, elle vit au fond des canyons sous-marins du fleuve).

Parmi les espèces animales emblématiques de la région, citons l’okapi, l’éléphant de forêt, le rhinocéros blanc du Nord, le chimpanzé, le bonobo et bien évidemment le gorille de l’Est dont la RDC compte deux sous-espèces : le gorille de montagne (Gorilla beringei beringei) et le gorille des plaines de l’Est (Gorilla beringei graueri), ce dernier étant, avec le bonobo, endémique de la République Démocratique du Congo.

Un okapi dans la Réserve de Faune à Okapis dans la forêt de l'Ituri en RDC © Objectif Brousse

OKAPI, LE 'ZEBRE DES FORETS'

(Photo : Okapi dans la Réserve de Faune à Okapis dans la forêt de l'Ituri en RDC)

Considéré comme ‘En Danger’, l’okapi est un grand ruminant qui se nourrit de feuilles et peut atteindre 1,80 m de hauteur au garrot. Il a un pelage noir ras et soyeux ponctué de rayures sur la croupe et les pattes qui l’aident à se dissimuler dans la végétation. Il a une tête imposante au bout d’un long cou allongé et de très grandes oreilles. D’abord pris pour un ‘zèbre des forêts’, il a comme  ses cousines girafes une langue immense et préhensile qui lui permet d’attraper de la végétation en hauteur.

L’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) a identifié en RDC deux populations de ce grand animal très discret de la famille des giraffidés : une au centre-Est du pays et une au Nord Est et notamment dans le Parc des Virunga, grand parc national à l’Est de la RDC et frontalier avec l’Ouganda et le Rwanda qui fut créé en 1925 – ‘historiquement le tout 1er d’Afrique’ comme le rappelle Xavier.

Décrit pour la première fois en 1901, l’okapi (Okapia johnstoni) est l’un des derniers grands mammifères à avoir été découvert. Vivant en solitaire dans des forêts denses et inextricables, il est très difficile à recenser et il pourrait être aussi présent plus à l’Ouest au Congo-Brazzaville voire au Gabon.

Eléphants de Forêt (Loxodonta cyclotis) dans le marais Mbeli Bai au Nouabalé-Ndoki National Park au Congo

L’ELEPHANT DE FORET, UNE TROISIEME ESPECE D’ELEPHANT !

(Photo : Eléphants de Forêt - Thomas Breuer - Wikimedia Commons - CC BY 2.5)

Plus petit que l’éléphant de savane africain dont on a longtemps pensé qu’il n’était qu’une sous-espèce, l’éléphant de forêt (Loxondonta cyclotis) a maintenant le statut d’espèce à part entière et est donc officiellement la 3ème espèce d’éléphantidé au monde avec l’éléphant d’Asie.

Décrit pour la première fois en 2001, il est légèrement plus petit que ses cousins avec une hauteur de 2,40 m au garrot. Plus foncé, il a des oreilles plus rondes et des défenses plus fines et plus dures avec des teintes rosées. Ses défenses tendent à pousser de façon plus droites et en se faisant face, probable adaptation de l’espèce lui permettant d’éviter qu’elles ne se prennent dans le dense couvert végétal où elle évolue. Comme son grand cousin africain et à la différence de l’éléphant d’Asie, sa trompe se termine par deux lobes qui font comme deux doigts préhensiles.

Les éléphants de forêt vivent en petits groupes dans les forêts profondes du bassin du Congo où ils se rassemblent parfois avec les autres hardes dans les clairières naturelles pour y ingérer une boue riche en sels minéraux qui vont enrichir leur alimentation et contrebalancer la toxicité des plantes dont ils se nourrissent. Sa population sauvage est estimée à moins de 100.000 individus et il est aujourd’hui considéré comme une espèce ‘En danger’ car ses effectifs régressent vite en raison de la déforestation et du braconnage menés dans une relative impunité dans la région.

Photo de Xavier Gilibert avec un des derniers rhinocéros blanc du Nord

RHINOCEROS BLANC DU NORD, LE CREPUSCULE D’UNE ESPECE...

(Photo : Xavier aux côtés d'un des derniers rhinocéros blanc du Nord)

Quand on parle de protection d’animaux menacés d’extinction, il n’y a malheureusement pas que des victoires. Si Xavier évoque le cas des rhinocéros blancs du Sud (Ceratotherium simum simum) qui ont frôlé l’extinction (‘il fallait couper les cornes et payer le prix de la valeur de la corne aux gens qui s’occupaient de leur protection,  tu n’avais pas le choix !'), il est en revanche plus amer au sujet du rhinocéros blanc du Nord (Ceratotherium simum cottoni) dont la RDC comptait une quinzaine d’individus sauvages dans le Parc National de la Garamba au Nord du pays jusqu’au milieu des années 2000 mais pour lesquels il a été impossible d'intervenir par manque de moyens... Cette sous-espèce, ‘beaucoup plus massive avec des cornes beaucoup plus grosses, la plus grosse espèce de rhinocéros au monde’, était  ‘la 2ème espèce de mammifère terrestre la plus lourde au monde et elle est aujourd’hui éteinte à l’état sauvage ! Il a disparu de la surface de la Terre (à l’état sauvage) ce dont on n’a hélas pas tellement parlé’, payant un lourd tribut au braconnage pour ses cornes qui permettait aux groupes armés et seigneurs de guerre locaux de se financer...

ENCORE DE L'ESPOIR POUR LE GRAND RHINO BLANC DU NORD !

(Vidéo : Au Zoo de San Diego, une fécondation in vitro réussie entretient un espoir pour la survie du rhinocéros blanc du Nord - BFM / Youtube)

Le fait est que Sudan, le dernier mâle de rhinocéros blanc du Nord, est mort en captivité en Mars 2018 au Kenya et qu’il ne reste plus à ce jour que deux femelles qui malheureusement ne peuvent enfanter… Un dernier espoir subsiste malgré tout, rendu possible par la science : des vétérinaires tentent de prélever des ovules sur les deux survivantes en vue de les faire féconder par du sperme de mâles du Nord qui a été précieusement conservé. Il s’agira ensuite de procéder à une fécondation in vitro sur des femelles de la sous-espèce du Sud. Nouvelle encourageante, le zoo de San Diego aux Etats-Unis, qui mène ces recherches, vient de franchir un premier pas décisif en réussissant en Juillet 2019 et pour la première fois au monde une fécondation in vitro pour des rhinos blancs du Sud !

Un chimpanzé photographié au ZooParc de Beauval par Pierre-François BOUCHER

LA RDC COMPTE QUATRE ESPECES DE GRANDS SINGES !

(Photo : Chimpanzé © Pierre-François BOUCHER)

Avec les multiples affluents du fleuve (qui atteint jusqu’à 16 km de large sur sa zone la plus étendue !), ses enclaves encore inexplorées et la diversité de ses biotopes, le bassin du Congo est un laboratoire de l’évolution avec des espèces qui n’existent parfois que sur quelques km2 seulement. Ainsi, fait unique au monde, ces territoires sont également habités par quatre espèces de grands singes de la famille des hominidés, et comme les grands singes ne nagent pas, on peut supposer que c’est peut-être l’isolement qui a favorisé l’évolution de ces populations en espèces distinctes.

Photo d'un bonobo au centre Lola Ya Bonobo en République Démocratique du Congo

CHIMPANZE ET BONOBO, LES FRERES QUE TOUT OPPOSE

(Photo : Bonobo au centre Lola ya bonobo en RDC - Pixabay - tsauquet - CC0)

Ainsi si le chimpanzé est présent au Nord du fleuve, c’est au Sud de celui-ci que l’on trouve le bonobo, une espèce endémique de la RDC et au sujet duquel Xavier nous dit : ‘aussi curieux que ça puisse paraître, dans un pays comme la RDC où il y a eu des millions de morts et marqué par des exodes massifs de populations à cause des conflits armés, il y a une espèce emblématique qu’on appelle le bonobo. Il est apparenté au chimpanzé mais il est pourtant complètement différent parce que le chimpanzé il est un peu comme nous, c’est un ‘sale type’ qui est très très fort. Il est clanique, il fait la guerre, il mange des petits singes, il chasse à courre, et il peut être extrêmement violent avec ses congénères alors que le bonobo lui règle ses conflits par la sexualité, façon hippie ‘faîtes l’amour par la guerre’. Donc dans un pays qui subit encore les affres de la guerre tu as ce singe symbole d’amour, c’est très fort ! La Nature est souvent là pour nous rappeler aux choses !’.

LE GORILLE, GRAND SINGE SURPUISSANT

(Vidéo : Charge de Mugaruka, un massif dos argenté, dans le PNKB)

Les deux autres grands singes que l’on trouve en RDC, ce sont le gorille de Grauer (ou gorille des plaines orientales/plaines de l'Est) et le gorille de montagne, deux sous-espèces du gorille de l’Est. Laissons la parole à Xavier, connaisseur passionné par ces animaux extraordinaires et qui a notamment été une des rares personnes à étudier au plus près la famille Rugendo (un clan de gorilles de montagne du Virunga en partie décimé en 2007) aux côtés de son ami André LUCAS qui fut lui-même un proche collaborateur de la célèbre primatologue Dian FOSSEY : ‘les gorilles font partie de la même famille que nous, ce sont des hominidés, des grands singes – mais bien plus forts que nous !  Sachant qu’un chimpanzé est capable de nous arracher un bras, imagine ce que peut faire un gorille. J’ai vu un dos argenté qui t’arrachait une branche de la taille d’un tronc comme si c’était une brindille, ils ont une force colossale qu’ils n’utilisent heureusement que rarement et surtout pour des parades de dissuasion !'.

Famille de gorilles de montagne au Parc des Virunga par Xavier Gilibert d'Objectif Brousse

LE GORILLE DE MONTAGNE, ESPECE CELEBRE DE DIAN FOSSEY

(Photo : La famille 'Kabirizi' de gorilles de montagne au Parc National des Virunga)

Xavier : 'Tu as donc d’un côté le gorille de montagne, l’espèce phare de la primatologue Dian Fossey, c’est le Gorilla beringei beringei, tiré de Von Bering du nom de la personne qui les a découvert et identifiés. Il vit dans le massif des Virunga qui s’étend sur trois pays (l’Ouganda, le Rwanda et la RDC) et dans la forêt impénétrable de Bwindi en Ouganda, forêt qui porte d’ailleurs bien son nom parce que là même avec une machette c’est compliqué.'.

Des gorilles de montagne photographiés par Xavier Gilibert d'Objectif Brousse aux Virunga

LES GORILLES DE MONTAGNE SONT HABITUES A LA PRESENCE HUMAINE

(Photo : Gorilles de montagne, une des rares photos de Senkwekwe encore vivant)

Xavier : 'Les gorilles de montagne vivent dans des forêts afro-alpines et si on dit gorille de montagne c’est que ce sont de vraies montagnes, c’est vraiment en altitude et très compliqué d’accès ! Eux sont par contre très faciles à voir parce que tous les gorilles de montagne sont habitués à la présence humaine : c’est ce qu’on appelle le processus d’habituation.'.

Un gorille des plaines de l'Est installé dans son nid en République Démocratique du Congo photographié par Xavier Gilibert d'Objectif Brouse

LE GORILLE DE GRAUER, ENDEMIQUE DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

(Photo : Gorille de Grauer)

Xavier : 'Et puis tu as l’autre gorille que nous protégeons également, Gorilla beringei graueri, le gorille des plaines orientales, une sous-espèce endémique de la RDC qu’on trouve un peu dans le parc national de la Maiko mais surtout dans le parc national de Kahuzi-Biega, qui tire son nom des monts Kahuzi et Biega, un parc qui fait partie de notre patrimoine mondial en péril parce qu’on est dans des zones instables.’.

Photo en gros plan d'une mère gorille de Grauer et son petit en train de têter au Congo par Xavier Gilibert d'Objectif Brousse

COMMENT DIFFERENCIER LES ESPECES ET SOUS-ESPECES DE GORILLES ?

(Photo : Une mère gorille de Grauer et son petit qui tête)

Il est objectivement difficile de distinguer le gorille de Grauer de ses congénères de l’Ouest si ce n’est peut-être les dos argentés qui seraient un petit peu plus lourds et massifs (que les gorilles de l’Ouest). C’est un peu plus simple avec la sous-espèce gorille de montagne qui vit jusqu’à 4.000 m d’altitude et se différencie des autres gorilles par son épais pelage hirsute qui l’habille et la protège du froid, ne laissant que le visage, les pieds et les mains imberbes, ainsi que la poitrine pour les mâles. Les mœurs claniques et le fonctionnement des grands singes en groupes familiaux autour d’un mâle dominant (le ‘dos argenté’) sont similaires entre gorilles de l’Est et gorilles de l’Ouest.

Photo d'un jeune gorille en train d'applaudir par Xavier Gilibert d'Objectif Brousse

PROTEGER LA BIODIVERSITE DANS UN CONTEXTE COMPLEXE

(Photo : Le gorille Mukokya applaudit ses protecteurs au Mont Tshiabirimu dans le Parc National des Virunga, 2005 ; malheureusement ce site, qui était le seul endroit des Virunga où trouver à la fois des gorilles de montagne et des gorilles de Grauer, est aujourd'hui à l'abandon et aux mains des milices depuis quelques années...)

Géant de l’Afrique, la RDC est un pays riche de nombreuses ressources naturelles : bois précieux et gisements de pétroles (notamment dans les Virunga...) et de minerais très recherchés comme le coltan, qui est utilisé pour la fabrication des batteries au lithium des voitures électriques et dont la RDC concentre à elle seule 65 % des gisements mondiaux. Partageant ses frontières avec pas moins de neuf voisins, c’est aussi un pays et une région instables à l’histoire mouvementée ponctuée de nombreux conflits et de tragédies effroyables (génocides, exodes de populations, résurgence en Août 2018 du terrible virus Ebola au Nord Kivu…).

Dans un tel contexte, comment travailler à la protection de la biodiversité ? Voilà LE défi que doit relever au quotidien une ONG de terrain comme Objectif Brousse, l’association de Xavier qui oeuvre depuis 2005 aux côtés des populations, de la société civile et des associations et ONG locales pour tenter de préserver ces richesses du patrimoine naturel mondial en péril, faisant de la RDC et de la région un véritable laboratoire d’initiatives et d’actions parfois expérimentales à valeur d’exemple pour le reste du monde.

Photo de Norbert MUSCHENZI, Ian REDMOND, Xavier GILIBERT & André LUCAS © Objectif Brousse

AVENTURE ET PASSION, LA NAISSANCE D’UNE VOCATION

(Photo : Xavier en compagnie de pionniers de la défense de l'environnement en RDC (de g à dr) : Norbert MUSCHENZI, Ian REDMOND & André LUCAS)

Interview :

Bonjour Xavier, avant toute chose peux-tu te présenter à nos lecteurs et nous parler des origines de ta passion et ton engagement pour les gorilles ?

Xavier GILIBERT : Je suis né aux abords de la très belle forêt de Compiègne et j’ai toujours été passionné de nature. Je suis parti à Madagascar, cette île-continent aux nombreuses espèces endémiques qui fait la taille de la France et du Bénélux. Ca m’a donné le goût de l’aventure et de la découverte et je voulais vraiment y travailler et puis en 2004, j’ai eu la chance de participer à une réunion à l’UNESCO sur la déclassification de toutes les réserves naturelles de la RDC pour les passer Patrimoine Mondial en Péril. Touché par le spectacle de cette nature merveilleuse dont les responsables de ces parcs étaient venus témoignés, j’ai profité de la fin de leur séjour parisien pour leur organiser une sortie pour aller voir le brame du cerf en forêt de Compiègne et nous sommes devenus amis, notamment avec un responsable de parc qui enchaînait sur une conférence sur les gorilles au London’s College à laquelle je l’ai accompagné.

Conquis par la richesse de la nature en RDC et conscient des enjeux à y relever en matière de protection de l’environnement, je décide d’y partir à l’aventure alors que le pays est en pleine période de conflit et je décroche une place de stagiaire pour l’Institut Congolais de la Conservation de la Nature (ICCN) qui chapote tous ces parcs.

Aidé par Vital KATEMBO, un pionnier de l’environnement, j’ai la chance de visiter tous les parcs nationaux dans des conditions parfois rocambolesques et souvent dangereuses : un voyage qui va me marquer profondément à la fois par la richesse de la nature et des espèces animales mais où je vois aussi la grande misère des gens et où je constate qu’alors quasiment rien n’est fait localement.

Photo de Xavier Gilibert et Pili Pili, un pygmée qui fut le pisteur de la première personne au monde à faire de l'habituation avec les gorilles à Kahuzi Biega © Objectif Brousse

EDUCATION ET CASQUES VERTS, PILIERS DES ACTIONS D’OBJECTIF BROUSSE

(Photo : Xavier GILIBERT et Pili Pili, un pygmée qui fut le pisteur de Adrien Deschryver, pionnier de l'habituation aux gorilles à Kahuzi Biega)

Dans un pays complexe comme la RDC, peux-tu nous expliquer comment travaille ton association Objectif Brousse et quelles sont ses missions ?

Xavier GILIBERT : La RDC détient le triste record du nombre de morts par conflits depuis 39-45… Le pays n’est plus en guerre actuellement mais se trouve encore dans une situation de post-conflit.

Etant une petite association nous jouissons d’une certaine liberté pour agir, ce qui est exceptionnel,  et c’est de terrain en terrain que j’ai mesuré les réalités.

Pour travailler dans des zones aussi compliquées, j’ai développé la conviction qu’il faut avant toute chose chercher à aider les gens qui vivent au plus près de ce patrimoine naturel mondial en péril – et qui est avant tout LEUR parc.

Aider les populations est donc au cœur de nos actions, avec un focus particulier sur l’éducation qui est le pilier de tout système. Les écoles de brousse sont au centre de la vie locale : non seulement les enfants y apprennent mais elles servent aussi de bureau de vote ou pour la formation des populations. Une de nos réussites est d’avoir créé une synergie de toutes les écoles qui se trouvent au plus près des gorilles de montagne, la SESGOMO (pour Synergie des Ecoles du Secteur des GOrilles de MOntagne) soit plus de 150 écoles (et 100.000 enfants !) qui se répartissent entre le parc national des Virunga et celui de Kahuzi Biega, avec l’idée de les faire fonctionner en coopératives ce qui permettra de mutualiser des moyens, des outils, des savoir-faire ou encore des livres ou un tracteur par exemple...

L’autre de nos principales actions a été la création des ‘casques verts’, dont la devise est ‘seul contre tous et tous pour celui qui est seul’. Ce sont des acteurs de la société civile ou des membres de l’ICCN tous engagés, parfois au péril de leur vie, dans la protection de la faune et de l’environnement là où ça se joue, c’est à dire sur le terrain. Les casques verts ont été les seuls à continuer à protéger les gorilles pendant les guerres !

N'oublions pas non plus qu'en 2007 nous avons réussi à organiser la première campagne anti-braconnage de RDC avec le concours de plus de 70 associations locales. 

Photo de deux hippopotames au parc des Virunga © Objectif Brousse

DES HEROS LOCAUX QUI RISQUENT LEUR VIE AU QUOTIDIEN !

(Photo : Hippopotames dans le Parc National des Virunga)

Quels sont selon toi les enjeux et les clés de la réussite pour la protection de la biodiversité en RDC ? Quelle est ta vision d’acteur de terrain sur ces questions et quel avenir vois-tu pour les gorilles par exemple ?

Xavier GILIBERT : Tout passe par l’appui aux associations locales. Il faut rentrer en contact avec les gens car ce sont les locaux les véritables héros, et une des réussites d’Objectif Brousse a été de réussir à fédérer plus d’une centaine de ces associations autour de la protection du gorille de montagne.

Malheureusement dans l’environnement je trouve qu’on est encore trop dans la forme et pas assez dans le fond à mon goût… si on veut protéger l’environnement de par le monde, on n’a pas vraiment besoin de tarzans blancs, il vaut mieux mettre en avant des héros du pays comme un de mes amis qui pendant la guerre allait à pied rencontrer les populations rurales pour les inciter à contenir les gorilles dans la forêt et négocier avec les miliciens pour qu’ils ne les tuent pas.

Un des enjeux c’est de faire comprendre aux populations l’impact de leurs actions sur la nature et les conséquences que celles-ci peuvent avoir, avec des exemples concrets comme le Lac Edouard en RDC qui s’est progressivement vidé de ses poissons parce que les hippopotames ont été décimés alors même que leur abondant crottin était la clé de voûte de l’écosystème du lac et était vital pour la richesse de sa biodiversité…

Le travail avec la société civile doit être un pilier des actions entreprises. Il faut faire en sorte que les gens du pays soient eux-mêmes les acteurs de leur propre développement et qu’ils coopèrent entre eux. Plutôt que de nourrir l’assistanat, il faut donner aux populations les moyens d’enclencher une dynamique économique.

AIDER OBJECTIF BROUSSE !

(Vidéo : Les enfants d'une des Ecoles Natures soutenues par Objectif Brousse)

Comment concrètement nos lecteurs peuvent-ils aider à la protection de la biodiversité en RDC ?

Xavier GILIBERT : Des exemples concrets c’est que nos enseignants ont besoin de craies pour écrire au tableau et de livres pour enseigner aux enfants. On a aussi besoin de fonds pour soutenir l’agro-écologie locale pour produire un charbon de bois propre, car une grande partie de la déforestation qu’on constate actuellement sur place, c’est pour produire du charbon de bois pour se chauffer et cuisiner. Si on pouvait également aider à la fabrication de foyers améliorés qui consomment deux fois moins de bois de chauffage, ça ralentirait également sans doute la déforestation.

On travaille aussi actuellement à produire ‘le miel des gorilles’ avec la coopérative des écoles, un miel local qui est fait avec des ruches traditionnelles kenyanes. Ce sont les abeilles sauvages qui viennent elles-mêmes s’installer dans les ruches pour y produire le miel, mais on aurait besoin d’enfumoirs et d’un peu de moyens pour former les gens au Nord et au Sud Kivu. Le but de cette production, qui n’est pas encore commercialisée, c’est d’aider les pygmées et les populations locales à avoir un revenu.

On aimerait aussi permettre à chacun des enfants de la synergie des écoles des gorilles de planter un arbre.

Les gens peuvent nous aider à scolariser des enfants d’orphelins de gardes et des enfants de certaines populations pygmées qui ont été chassées des parcs. Scolariser un enfant ça coûte 18 $, parrainer un enfant orphelin de garde, ça peut être bien.

J’ai moi-même financé une bonne partie des actions que nous avons menées et j’ai aussi eu la chance d’être un peu aidé, mais il faut voir que les ressources commencent à se tarir alors qu’il y a tant à faire, donc toutes les contributions sont évidemment les bienvenues ! On recherche aussi des bénévoles et on est disposé à proposer des expositions sur les gorilles de montagne partout où les gens souhaiteraient en organiser – on a notamment exposé au Palais de la Découverte pendant 6 mois il y a quelques années.

Et là je repars en mission pour soutenir les écoles de SESGOMO et travailler dans le parc de Kahuzi Biega qui a toujours été un parc pionnier dans sa manière d'intégrer les pygmées à la conservation des gorilles, un exemple réussi de la conservation communautaire à l'Est de la RDC.

 

Objectif Brousse : Objectif Brousse est un des rares programmes internationaux à allier la protection de la Nature - les derniers gorilles de montagne au monde, à celle de l'Homme - re-scolarisation d'orphelins de gardes du parc,d'enfants pygmées, sensibilisation à leur environnement.

La Page Facebook de Objectif Brousse

Contact : objectifbrousse@gmail.com

Faire un don à Objectif Brousse (via Paypal - déductible fiscalement)

Crédit article : Julien PIERRE & Xavier GILIBERT

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