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Especes invasives : l'invasion a deja commence !

7 Décembre 2018

(Image : Frelon asiatique - vespa velutina - Siga - Wikimedia commons - CC-BY SA-3.0)

Dans cet article nous allons vous parler d'un étrange oiseau aujourd'hui disparu (le dodo), de ce qu'est un écosystème et les équilibres qui le régissent, du 'crabe de Staline' et autres espèces invasives comme le frelon asiatique ou le moustique-tigre, des différences entre espèces invasives, exogènes et nuisibles avant de terminer sur les causes et conséquences de ces invasions biologiques. 

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LE DODO SUR SON ILE

(Image : gravure d'un dodo - Adriaen Van Der Venne - Wikimedia Commons - public domain)

Le dodo était un gros oiseau gris au bec crochu et d’allure débonnaire apparenté au pigeon. Pesant une bonne dizaine de kilos, il était lent et absolument incapable de voler avec ses ailes atrophiées dont il avait perdu l’usage. Présent uniquement sur l’île Maurice dans l’Océan Indien où il s’était développé à l’abri de tout prédateur, il a subi de plein fouet l’arrivée des hommes qu’il n’avait pas appris à craindre. Les marins trouvèrent en lui une proie facile et il fut également persécuté et ses nids pillés par les chiens, singes, porcs, chats et rats débarqués des bateaux. Sans doute avant 1700 et moins d’un siècle après sa découverte, le dodo s’éteignait, devenant malgré lui une icône de l’extinction des espèces.

Cet exemple tragique illustre parfaitement l’impact que peut avoir l’introduction de nouvelles espèces dans un environnement jusque là préservé, redéfinissant les interrelations qui régissaient l’écosystème avant l’arrivée des intrus. Et quoi de plus fragile qu’une île qui, en raison de son isolement géographique, est à la fois souvent le berceau de nombreuses espèces animales et végétales endémiques qui ont évolué au fil des siècles pour s’adapter parfaitement à leur environnement (la spéciation), et un écosystème extrêmement fragile menacé par la moindre arrivée d’une nouvelle espèce plus adaptable qui va y prospérer au détriment des espèces locales.

Dans le contexte planétaire actuel combinant violents changements climatiques et impacts environnementaux sans précédent des activités humaines qui nous ont fait entrer dans l’ère de l’Anthropocène, ce dossier vous propose de comprendre ce que sont les espèces envahissantes/invasives et les causes et conséquences de l’irruption de ces espèces.

L’EQUILIBRE ROMPU D’UN ECOSYSTEME

A la base, il y a un écosystème, c’est à dire l’ensemble de toutes les interrelations possibles entre les plantes, les animaux, les micro-organismes et un environnement donné. Dans cet environnement, aussi appelé biotope, c’est à chacun son rôle : production par les végétaux, consommation par les animaux,  et bio-réduction par les micro-organismes. La richesse d’un écosystème, que l’on peut mesurer par la diversité des espèces qui y vivent (la biodiversité), est très variable selon la qualité du sol, le climat, l’ensoleillement, l’abondance d’eau, etc… Ainsi, une flaque d’eau, une prairie, un récif de corail, un jardin et même une ville sont autant d’écosystèmes imbriqués les uns dans les autres. Sur Terre il est communément admis que ce sont les forêts tropicales qui présentent les écosystèmes les plus riches de par la grande variété des espèces qu’on y trouve.  

Un écosystème est dynamique, évoluant et se modifiant sans cesse avec le temps sous l’action des espèces qui y vivent, et tend dans le meilleur des cas vers une forme de stabilité. Sa bonne santé, on la juge sur sa capacité à absorber les pressions extérieures auxquelles il est soumis en permanence sans que cela ne modifie sa structure, une capacité que l’on appelle la résilience écologique. Incendies, précipitations, sécheresses : lesdites pressions extérieures peuvent prendre de multiples formes et parmi elles, l’arrivée, accidentelle ou non, d’une nouvelle espèce qui peut venir bouleverser les règles du jeu.

Toutes les intrusions d’espèces hors de leurs zones de répartitions naturelles ne menacent pas forcément l’écosystème hôte : certaines espèces sont dans l’incapacité de s’acclimater et disparaissent rapidement, et d’autres peuvent parvenir à s’insérer dans leur nouvel environnement en y trouvant un moyen de subsistance et une niche écologique sans trop menacer les grands équilibres ni concurrencer ou nuire aux espèces indigènes. Il arrive cependant qu’une espèce introduite s’acclimate trop bien et commence à se démultiplier dans ce nouvel environnement, pouvant devenir une menace pour la biodiversité locale : on parle alors d’invasion biologique.

L’INVASION A DEJA COMMENCE !

Quelques exemples spectaculaires illustrent ces cas d’arrivées de nouvelles espèces invasives qui viennent bouleverser un écosystème. L’écureuil gris, originaire d’Amérique du Nord, a été introduit au Royaume Uni au début du 20ème siècle et y a quasiment éradiqué l’écureuil roux indigène, moins agressif et moins opiniâtre. En Australie, une vingtaine de lapins furent introduits en 1874 et se reproduisirent tant qu’ils se mirent rapidement à pulluler par millions et ravager les cultures. On introduisit des renards pour tenter de réguler les populations mais ceux-ci s’en prirent à la place aux marsupiaux locaux qui n’avaient rien demandé. 

Le ‘crabe de Staline’, ou crabe royal du Kamtchatka, est un crustacé géant (jusqu'à 2 m d'envergure !) et vorace à la carapace épaisse et couverte de piquants. Sa chair est très appréciée et en fait un crustacé prisé des pêcheurs. Pour venir en aide aux populations locales touchées par la pauvreté, la Russie décide dans les années 1960 de l’introduire dans la Mer de Barents, au Nord de la Norvège et au Nord Ouest de la Russie. Problème : si dans son milieu d’origine, la Mer de Béring, il a des prédateurs comme le poisson-loup, en revanche dans la mer de Barents il a les coudées franches et se reproduit sans limite, agissant comme un ravageur des fonds marins, et son expansion vers l’ouest et la Norvège semble impossible à freiner, menaçant des écosystèmes fragiles incapables d’absorber l’invasion annoncée de millions de crabes géants.

Un peu plus proches de nous, en France, ce sont les redoutables frelons asiatiques qui sont arrivés en 2004 dans un conteneur de poteries chinoises et qui maintenant prolifèrent et s’attaquent aux abeilles et aux ruches. Il y a aussi les tortues de Floride, reconnaissables aux tâches rouges à l'arrière de leur tête, qui ont fait les beaux jours des animaleries dans les années 1970-1980 mais qui, lâchées dans la nature par leurs propriétaires, se sont si bien acclimatées qu’elles concurrencent notre cistude d’Europe en lui piquant ses ressources alimentaires (insectes, amphibiens, invertébrés) ; ou encore les ragondins, aussi appelés  myocastors, qui s’installent sur les berges de nos étangs et rivières alors qu’ils sont au départ originaires… d’Amérique du Sud !

Parmi les espèces envahissantes on trouve nombre d’insectes, d’invertébrés et d’arthropodes (crevette tueuse, ou gammare du Danube, colonisant les cours d’eau français depuis le Rhin) mais ces invasions biologiques ne se limitent pas aux animaux, les plantes et végétaux étant également concernés. Citons par exemple la célèbre renouée du Japon, cauchemar des botanistes et des aménageurs urbains, une plante d’origine asiatique très vivace et résistante capable de pulluler même sur les sols pauvres ou pollués et qui une fois installée, notamment le long des berges des cours d’eau et des rivières, prend toute la place et en chasse les autres espèces de végétaux, appauvrissant drastiquement la biodiversité.

EXOTIQUE, EXOGENE, ENVAHISSANTE, INVASIVE, NUISIBLE : PETIT LEXIQUE DES INDESIRABLES

On qualifie d’exogène ou d’exotique une espèce originaire d’un autre pays ou d’une autre région du monde, qui n’est pas native de l’endroit concerné.

L’espèce envahissante ou invasive qualifie une espèce qui n’est pas native d’un écosystème mais s’y établit et dont la présence devient néfaste pour la biodiversité de l’écosystème. Pour la gestion des espèces invasives c’est l’Union Européenne et le pays concerné qui évaluent sur une échelle de 1 à 4 le degré de nocivité du nouvel arrivé, les degrés 3 et 4 justifiant la mise en place de plans d’actions concertés pour stopper la propagation de l’espèce ou l’éradiquer.

Enfin l’espèce nuisible ou malfaisante est une espèce qui provoque des troubles, dommages ou dégâts constatés. La notion de nuisible est dans la pratique floue et assez relative, car elle est avant tout une question de point de vue et confronte différentes approches.

LE CAS SENSIBLE DES ESPECES NUISIBLES

Une espèce envahissante peut donc être nuisible, mais une espèce n’a pas besoin de venir d’ailleurs pour être nuisible.

Ainsi pour l’agriculteur exploitant ses terres de manière intensive, la plupart des insectes sont des nuisibles. On traite les cultures pour se prémunir des ravages potentiels causés par ces indésirables, une logique compréhensible (et profitable pour ceux qui vendent les produits) du point de vue de l’exploitant, mais dont on commence à mesurer les conséquences : appauvrissement drastique des sols surexploités qui deviennent stériles, disparition en Europe de 80 % des insectes en 30 ans et d’un tiers des oiseaux de nos campagnes en 20 ans, sans compter les impacts sur la santé humaine de l’ingestion de toutes ces sympathiques substances. On pense ici au philosophe français Descartes qui considérait que la science pouvait 'nous rendre comme maître et possesseur de la Nature', et dont on mesure peut-être maintenant les limites (même si son propos était semble-t-il moins agressif envers la nature que ce qu'il ne semble).

Alors qu’il avait complètement disparu de France, le loup gris y a fait un retour remarqué et polémique depuis le début des années 1990. Si on estime que sa population serait maintenant d’environ 500 individus, il déchaîne les passions car c’est un carnivore qui s’attaque aux troupeaux des bergers et au gibier jusqu’ici chasse gardée… des chasseurs justement. Pour une partie des éleveurs et chasseurs concernés, il est clairement un animal nuisible, qu’on pourrait même considérer comme envahissant (puisqu’après tout il avait quand même disparu de France) alors même que c’est une espèce protégée par la Convention de Berne de 1979. On a donc mis en place un plan d’abattage autorisant des quotas de tirs sur le canidé sauvage. Les éleveurs sont indemnisés et des techniques de prévention existent, comme la présence de chiens patous qui dissuadent efficacement le loup d’attaquer les troupeaux, mais la cohabitation reste difficile et tendue entre loup et Homme devenus prédateurs concurrents.

On l’aura compris, le statut de ‘nuisible’ semble être une question de point de vue alors qu’en réalité celui-ci fait en France l’objet d’une réglementation stricte avec une liste annuelle dressée par les préfets de chaque département autorisant la chasse, le piégeage et l’éradication des ‘ennemis’ figurant sur la liste. Mais là encore, tout est question de point de vue et cette liste est un peu étrange. Au motif des dégâts avérés ou potentiels sur les cultures qu’ils provoquent on peut comprendre que certains oiseaux (quand ils pullulent) ou que le sanglier y figurent (même si sa prolifération est une conséquence directe de l’intervention des chasseurs qui ont encouragé sa reproduction). En revanche, que le renard, qui se nourrit de rongeurs et agit comme un nettoyeur de la nature, ou le blaireau, chassé à coup de terrier enfumé et de grosse pince en métal alors que ses populations se régulent d’elles-mêmes selon la quantité des proies disponible, y figurent, on sent bien que lesdites listes de nuisibles ne prennent pas en compte le rôle de ces espèces dans l’écosystème.

CAUSES ET CONSEQUENCES DES INVASIONS BIOLOGIQUES

Devenue l’une des principales causes de la disparition de la biodiversité dans le monde, les invasions biologiques ont souvent suivi l’être humain dans sa colonisation progressive de la planète, la multiplication des échanges, des modes de transports et des déplacements ayant créé les conditions favorables à l’introduction de nouvelles espèces dans des écosystèmes qui échouent à les absorber et s’en trouvent chamboulés. Parfois accidentelles (rongeurs débarqués des navires, ragondins échappés d’élevages), parfois volontaires (perche du Nil du Lac Victoria apportant des ressources aux pêcheurs mais qui a quasiment vidé le lac de toutes ses espèces autochtones), ces introductions ont souvent des conséquences irréversibles. Le développement et la mobilité de l’être humain, que l’on peut légitimement considérer comme la première des espèces invasives, a favorisé la multiplication des invasions biologiques.

L’autre facteur favorisant l’arrivée d’espèces envahissantes, c’est le changement climatique qui modifie en profondeur le fonctionnement de tous les écosystèmes de la planète. Sous le coup du changement, soit les espèces indigènes s’adaptent (mais le rythme du changement est si rapide que l’évolution n’a pas le temps de faire son œuvre), soit elles disparaissent si elles sont trop adaptées à leur environnement, soit elles vont se déplacer pour rechercher des conditions qui leur sont favorables. Sur le continent américain, un exemple marquant est celui des grizzlys qui fuient le réchauffement climatique en remontant vers le Nord et commencent à se reproduire avec des ours polaires, engendrant un hybride appelé 'pizzly'.

DODO OU DESCARTES ?

La combinaison des changements climatiques en cours et à venir et de l’explosion démographique de l’être humain sur Terre (plus de 7,5 Milliards d’individus en 2018) créée des conditions très favorables à la propagation des espèces envahissantes et à la multiplication des invasions biologiques. On peut (ou non) considérer que c’est dans l’ordre ‘naturel’ des choses, version climato-sceptique 'une espèce en chasse toujours une autre de toute façon', mais il est évident que c’est un phénomène qui mobilise déjà des ressources très importantes et de nombreuses actions pour tenter de les maîtriser, et que la tendance ne va clairement pas être à l’accalmie sur ce front dans les prochaines années.

Et au fait, notre bon Descartes, il dirait quoi si lui-même se retrouvait dans la position du dodo voyant débarquer sur son île-Terre une nouvelle espèce ?

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LE MOUSTIQUE-TIGRE, UN CAS D'ECOLE

(Photo : Moustique-tigre - PIxabay - CC0)

S'il est une espèce à qui profite le réchauffement climatique, c'est bien le moustique-tigre, un insecte coriace et très adaptable au départ originaire d’Asie du Sud Est qui serait arrivé en France dans la région niçoise en 2004. Présent au départ sur l’arc méditerranéen, Aedes albopictus se répand sur le territoire métropolitain et on le retrouve aujourd'hui dans de nombreuses régions de France. Il est même entré dans Paris et rien ne semble arrêter sa progression. En plus d’être des infatigables attaquantes qui n’ont pas peur de piquer en pleine journée, les femelles sont potentiellement vectrices de nombreuses maladies (chikungunya, dengue, virus Zika) qui peuvent être temporairement invalidantes et parfois graves chez les sujets les plus sensibles. En France métropolitaine, le premier cas d’une maladie autochtone transmise par le moustique-tigre a été reporté en 2010. Depuis les autorités sanitaires considèrent le moustique tigre avec beaucoup de sérieux et coordonnent des opérations de démoustication dès qu’un nouveau malade est déclaré. S'il semble aujourd'hui illusoire d'imaginer réussir à éradiquer cette espèce car elle est maintenant bien implantée, il est toutefois possible de contrôler sa prolifération et ses populations.

DES MOUSTIQUES-TIGRES CHEZ VOUS : QUE FAIRE ?

Si vous êtes concerné par cette invasion, l’emploi de pièges à moustique diffusant du gaz carbonique et des phéromones attractives peut vous aider. Ils sont sans danger pour les autres espèces d’insecte comme les abeilles et les papillons. Mais vous pouvez aussi vous attaquer au point faible du moustique, ses lieux de pontes. Recherchez et supprimez dans votre jardin ou sur votre balcon les potentiels “gîtes larvaires” en vidant régulièrement les soucoupes sous les pots de fleur, en coupant au plus près des noeuds les tiges de bambou et en nivelant les zones de votre jardin où se forment et persistent des flaques d’eau. Sans eau les oeufs et les larves de cet insecte ne peuvent pas se développer.

Crédit article : Julien PIERRE & Jean-Michel DUPUYOO

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