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Le pangolin : termites, braconnage et covid 19

19 Mars 2020

(Photo : Grand pangolin de l'Inde - US Fish and Wildlife Services - Flickr - CC BY 2-0)

Article misà jour le 21 Avril 2020.

Dans le jargon de la finance, le ‘cygne noir’ qualifie un événement imprévisible à très faible probabilité et que personne n’a vu venir et qui quand il se réalise va avoir des conséquences extrêmement significatives et impactantes à très grande échelle. Qui aurait pu imaginer que l’économie mondiale et la marche du monde seraient complètement chamboulées en 2020 par un petit mammifère grand amateur de termites ? Qu’un petit animal braconné à outrance pour sa chair et ses écailles mettrait le monde quasiment à l’arrêt en transmettant à l'homme un coronavirus très contagieux ? Qu'enfin le fameux cygne noir prendrait la forme du pangolin, timide chevalier en armure des forêts et savanes tropicales d’Afrique et d’Asie qui pour toute défense ne sait que se rouler en boule en attendant que le danger s’éloigne ?

Après nous être intéressé à la classification du pangolin, nous verrons dans un second temps les caractéristiques fascinantes de cet animal qui partage des points communs avec les tatous et les fourmiliers avant de faire un point sur  la situation critique à l’état sauvage des huit espèces de pangolins connues à ce jour. Enfin nous évoquerons les causes de sa disparition qui pourraient aussi être à l’origine de la pandémie de Covid-19 qui a frappé d’abord la Chine fin 2019 puis le monde entier en 2020.

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CLASSIFICATION DU PANGOLIN

(Photo : Grand pangolin d'Inde ou pangolin à grosse queue (Manis crassicaudata) - US Fish and Wildlife Services - Flickr - CC BY 2-0)

Le pangolin, petit mammifère aux allures de pomme de pin ou d’artichaut, a longtemps été une énigme zoologique. Si on a retrouvé des fossiles d'ancêtres de sa lignée datant d’il y a plus de 40 Millions d’années, ceux-ci ont livré peu d’indices sur sa filiation.

Un temps considéré comme un membre isolé de l’ordre des édentés (aussi appelés xénarthres) et qui comprend les fourmiliers, les tatous et les paresseux, le pangolin partage effectivement quelques caractéristiques communes  avec ce groupe d’animaux : cerveau de taille réduite, peu voire pas de dents (comme chez le fourmilier géant équipé à la place d’une immense langue musclée), dos costaud avec des lombaires renforcées et griffes puissantes et proéminentes  équipant ses membres antérieurs à la manière du tatou… Constatant que ces particularités n’étaient finalement le fruit que de ce que l’on appelle la convergence évolutive (voir ci-dessous), le pangolin a finalement eu droit à son propre ordre, les Pholidotes, constitué d’une unique famille, les Manidés, dans laquelle sont classées toutes les espèces de pangolins.

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QU'EST-CE QUE LA CONVERGENCE EVOLUTIVE ?

(Photo : A gauche un boa émeraude (© Julien PIERRE) et à droite un python émeraude (vinsky2002 - Pixabay - CC0)

Parenthèse au sujet de la convergence évolutive : il s’agit d’espèces de lignées différentes qui évoluent et développent des caractéristiques similaires en s’adaptant à des contraintes environnementales identiques mais dans des endroits distincts. Un exemple concret de convergence évolutive ? Le boa émeraude (aussi appelé boa canin) et le python vert (aussi appelé serpent émeraude) sont deux serpents très similaires qui arborent tous deux une jolie couleur verte  ponctuée de points et motifs blancs (et bleu vif chez le python) et qui vivent essentiellement dans les arbres où ils chassent de la même manière à savoir à l’affût enroulés autour d’une branche et tête vers le bas. Bien que très ressemblants et même si tous deux sont des serpents de la même superfamille des boas, pythons et alliés, l’un fréquente les forêts humides tropicales d’Amérique du Sud et est ovovivipare (le boa émeraude, Corallus caninus) alors que  l’autre (le python vert, Morelia viridis) est ovipare et vit à plus de 17.000 km de là en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Nord de l’Australie et sur les îles environnantes. Autres cas de convergence évolutive observés dans le règne animal, le gavial indien et les faux gavials d'Afrique (le faux gavial de Malaisie s'avérant finalement être lui un 'vrai gavial' membre de la famille des Gavialidae) ou encore les tégus comme le tégu géant qui occupent en Amérique du Sud la même niche écologique que les varans en Afrique, en Asie et en Océanie.

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LES CARACTERISTIQUES ETONNANTES DU PANGOLIN

(Photo : Pangolin de Temminck ou pangolin terrestre du Cap (Manis temminckii) - US Fish and Wildlife Services - Flickr - CC BY 2-0)

Mais revenons à notre ami le pangolin, animal aux caractéristiques étonnantes à commencer par  ses écailles qui couvrent son corps et sa queue et lui donnent cet aspect d'artichaut ou de pomme de pin : il en est entièrement recouvert à l’exception du ventre et du museau. Unique mammifère à arborer des écailles, celles-ci sont constituées de kératine, la même matière que les ongles ou les cornes des rhinocéros. Très dures et coupantes au point de pouvoir être utilisées comme racloir ou comme couteau, elles se superposent et constituent une armure de protection particulièrement efficace lorsque le pangolin se roule en boule et les hérissent comme le hérisson grâce à un muscle spécial.

Sa langue ensuite, qui comme chez le fourmilier est immense : enduite d’une salive visqueuse qui la rend très adhésive (ses glandes salivaires font la taille d’un œuf !), elle peut s’étendre à plus de 25 à 40 cm de son museau selon l’espèce et a des racines musculaires dans sa poitrine en étant  rattachée à son bassin ! C’est un outil idéal pour les pangolins qui se nourrissent de fourmis et de termites. Et comme il n’a aucune dentition, c’est son estomac hyper musclé et revêtu de tissu corné qui assure le broyage et la mastication des insectes qu’il ingère vivants, certaines espèces n’hésitant pas à ajouter quelques cailloux pour faciliter le processus.

Les longues griffes puissantes qui équipent ses membres antérieurs sont une autre des caractéristiques du pangolin qui peut les utiliser comme arme défensive, comme outils pour se creuser un terrier dans le sol (pour le pangolin géant africain), et comme pioche pour éventrer les fourmilières ou les termitières parfois aussi dures que du ciment.

Quant à sa longue et lourde queue qui mesure la moitié de son corps, elle lui sert de cinquième membre pour se suspendre aux branches pour les espèces arboricoles, de balancier quand les pangolins courent au sol dressés sur leurs pattes arrières, de ‘siège’ quand le pangolin de Temminck par exemple se dresse en position verticale pour attaquer une fourmilière ou encore d’arme défensive chez le pangolin géant.

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LES MOEURS DU PANGOLIN, ANIMAL NOCTURNE ET SOLITAIRE

(Photo : Pangolin roulé en boule - Wildlife Alliance - Flickr - CC BY-SA 2-0)

Animaux farouches et discrets, les pangolins sont essentiellement actifs la nuit durant laquelle ils se mettent en quête des 200 grammes de fourmis et termites qu’ils doivent ingérer quotidiennement.  Animaux nomades et solitaires, les mâles et femelles de pangolins ne se rencontrent que pour la reproduction. Les mâles s’affrontent avant que la femelle ne s’accouple avec le vainqueur, celui-ci reprenant ensuite sa route en quête d’autres femelles tandis que la femelle donnera naissance à un unique petit après une centaine de jours de gestation. Le petit ne quitte pas sa mère et s’agrippe fermement à la queue de celle-ci quand elle se déplace et part en recherche de nourriture.

Le pangolin perçoit le monde avant tout par son ouïe (qui est excellente) et son odorat qui est très développé – il communique par signaux olfactifs avec ses congénères et est doté à cet effet de grosses glandes anales.

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HUIT ESPECES DE PANGOLIN TOUTES EN SURSIS

(Photo : Grand pangolin d'Inde - US Fish and Wildlife Services - Flickr)

Huit espèces de pangolins ont été identifiées à ce jour, qui se répartissent dans l’Ancien Monde entre l’Afrique subsaharienne et l’Asie.

On vous propose une petite revue d’effectif de celles-ci qui sont aujourd’hui toutes menacées d’extinction. A noter que les pangolins sont identifiés par les genres Manis, Phataginus ou Smutsia pour leur nom latin, reflétant probablement la difficile classification de l'inclassable pangolin.

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LES PANGOLINS AFRICAINS

(Photo : Pangolin tétradactyle ou pangolin à longue queue - US Fish and Wildlife Services - Flickr - CC BY 2-0)

Le pangolin à longue queue, aussi appelé pangolin tétradactyle (Manis tetradactyla) ou encore pangolin à ventre noir – ‘black-bellied pangolin’ en anglais – a un corps de 40 cm et une queue de 60 cm qui lui permet de se suspendre et se déplacer dans les arbres des forêts tropicales de l’ouest et du centre de l’Afrique. Espèce menacée au statut ‘Vulnérable’, on peut le distinguer à son museau et son ventre noir.

Le pangolin de Temminck (Smutsia temminckii), plus couramment appelé pangolin terrestre du Cap, a également le statut d’espèce ‘Vulnérable’ selon l’UICN. Il vit dans les prairies, forêts et savanes du Tchad et du Soudan jusqu'au nord de l’Afrique du Sud en passant par l’Ethiopie et la Tanzanie. Il peut peser jusqu’à 12-13 kg voire plus et mesure jusqu’à 1 m de long (dont la moitié de queue). Plus terrestre dans ses mœurs, c’est un spécialiste de l’éventrement des termitières.

Le pangolin géant (Smutsia gigantea) ou grand pangolin terrestre est une espèce ‘En danger’ qui vit dans les forêts et savanes d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.  Les animaux de cette espèce, la plus massive de tous les pangolins, peuvent peser plus de 30 kg et atteindre les 1,40 m (doit près de la moitié pour la queue). Il se distinguent également par leur long museau et leurs… cils !

Dernier représentant africain de la famille, le pangolin commun aussi appelé pangolin à écailles tricuspides (Phataginus tricuspis) est une espèce ‘En danger’ dont l’aire de répartition s’étend en continu de la Guinée à l'Ouest au Kenya à l’Est et jusqu’à l’Angola et la Zambie au Sud. Comme ses congénères, il fréquente les forêts et savanes tropicales. En anglais on le nomme également pangolin des arbres (car il est essentiellement arboricole) ou encore pangolin à ventre blanc. Son corps mesure 40 cm et sa queue 60 cm, et il est plutôt léger avec un poids moyen de 2 kg.

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LES PANGOLINS ASIATIQUES

(Photo : Pangolin de Chine ou pangolin à queue courte - US Fish and Wildlife Services - Flickr - CC BY 2-0)

Le pangolin javanais (Manis javanica), aussi appelé pangolin malais, est un animal ‘En danger critique d’extinction’ qui vit dans les forêts tropicales d’Asie du Sud-Est. Mesurant un peu moins d’1 m, il pèse jusqu’à 5 kg, a de la fourrure sur le ventre et un petit peu de moustache au museau.

Le pangolin des Philippines (Manis culionensis) est également ‘En danger critique d’extinction’. Il n’est présent que dans la province de Palawan où il vit dans les forêts et les prairies. Il est apparenté au pangolin javanais dont il se distingue par une taille plus modeste.

Le grand pangolin de l’Inde (Manis crassicaudata) est aussi appelé pangolin à grosse queue. Espèce ‘En danger’, il est surtout présent en Inde et au Sri Lanka. Il peut mesurer jusqu’à 1,20 m de long dont 45 cm de queue et peser dans les 13 kg. Forêts et savanes constituent son habitat, même si il est plus volontiers terrestre et fouisseur que ses congénères. Il semble également avoir une période de gestation plus courte (dans les 70 jours) que les autres pangolins.

La dernière espèce de pangolin de la famille, c’est le pangolin de Chine (Manis pentadactyla), aussi appelé pangolin à queue courte, un habitant ‘En danger critique d’extinction’ des forêts (de différents types) et prairies de l’Himalaya, du Népal et du Sud-Est de la Chine jusqu’au Nord du Vietnam, du Laos et du Bangladesh. Reconnaissable à son museau blanc, il mesure dans les 40 à 60 cm de long auquel il faut ajouter 25 à 38 cm de queue pour un poids total de 2 à 7 kg.

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LE PANGOLIN, UN DES ANIMAUX LES PLUS MENACES AU MONDE

(Photo : Sauvetage d'un pangolin - Wildlife Alliance - Flickr - CC BY-SA 2.0)

Les pangolins font partie des espèces animales les plus braconnées et les plus menacées au monde et leur commerce est strictement interdit par la CITES, organe international aussi appelé Convention de Washington qui réglemente le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Pourtant, c’est un animal que l’on retrouve mort ou vivant sur les étals des marchés d’animaux sauvages de l’Afrique à l’Asie

La malédiction de ce petit mammifère facile à attraper par les braconniers puisque sa seule défense est de se rouler en boule, c’est que sa chair est très recherchée et consommée comme viande de brousse du Gabon au Vietnam et à la Chine et que ses écailles réduites en poudre auraient de multiples vertus miracles (non démontrées à ce jour) d’après la médecine traditionnelle chinoise. Résultat des courses : le pangolin braconné en Afrique transite par le port de Lagos vers celui de Hong-Kong pour ensuite se répartir sur les différents marchés aux animaux d’Asie comme l'explique cet article du Monde.

PANGOLIN, MARCHES AUX ANIMAUX SAUVAGES ET COVID 19

(Vidéo : France 24 sur Youtube - 'Coronavirus : au Gabon, les ventes de pangolins accusent le coup')

Il y a aujourd’hui de fortes suspicions que le coronavirus Covid-19 trouve son origine sur le marché aux animaux sauvage de Wuhan en Chine, pays où le commerce d'animaux sauvages pour consommation alimentaire est interdit mais était toléré en pratique* - et ce a priori contre l'avis d'une partie de la population chinoise révoltée par ces pratiques. Transmis par une chauve-souris qui serait l'hébergeur, le virus aurait ensuite transité par le pangolin qui aurait servi d’hôte intermédiaire avant de muter à nouveau et se transmettre à l’homme. 

Si on est pour l’instant encore au stade des hypothèses et que les analyses de l’université agricole de Chine du Sud de Guangzhou suggérant que le pangolin serait la source du virus présentent semble-t-il des lacunes comme l'explique cet article en anglais de la revue Nature, on peut quand même légitimement s’interroger sur la consommation de viande de brousse (= issue d’animaux sauvages) et les marchés d’animaux sauvages, véritables viviers de virus meurtriers nous ayant déjà par exemple donné le Sras transmis par la civette, un animal de la famille des viverridés qui comme le pangolin aurait été l’hôte intermédiaire d’un coronavirus issu des chauves-souris.

S’il s’avérait que le pangolin était effectivement la source du Covid 19, l'ironie de cette histoire serait que ce petit animal victime de braconnage soit devenu le vecteur involontaire de l’une des plus grandes pandémies de l’histoire moderne, forçant des pays entiers, leurs sociétés et individus à se replier sur eux-mêmes pour se couper du virus tel le pangolin se roulant en boule face au danger extérieur.

> Pour approfondir le sujet du trafic international de pangolins, on vous recommande la lecture de 'Coronavirus : sur la piste de la « pangolin connection »', excellent article du Monde (édition abonnés) qui dissèque avec force détails le fonctionnement de ce trafic international aux mains de mafias puissantes, un travail remarquable qui interroge également sur la façon dont l'être humain maltraite et exploite à outrance et sans conscience la faune et la flore sauvages, dont l'article rappelle également qu'elles sont souvent les hôtes de redoutables épidémies comme les coronavirus.

* Comme le précise National Geographic dans son article "Coronavirus : la Chine interdit définitivement la consommation d'animaux sauvages", le marché de Wuhan a depuis été détruit et le gouvernement chinois a décidé depuis le 24 Février 2020 d'interdire formellement la consommation alimentaire d'animaux sauvages et de durcir sa législation sur le commerce d'espèces animales menacées dans le pays pour la médecine, la recherche ou comme animaux de compagnie.

Crédit article : Julien PIERRE

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