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Requins, s.o.s. especes menacees !

9 Mai 2019

(photo : Requin pointes noires - Thomas PIERRE)

TEMPS DE LECTURE : 15 minutes env.

Un dossier complet à lire pour tout savoir sur les requins !

> Et si l'article vous a mis en appétit, venez donc vous frotter à notre Sharkoquiz, dix questions/réponses pour tester et compléter vos connaissances sur les requins ! 

Après avoir évoqué des mythes et légendes sur le requin puis sa filiation avec un ordre apparu il y a 140 Millions d'années (!), nous passerons en revue le formidable arsenal et les caractéristiques physiques étonnantes dont la nature l’a pourvu, avant dans une troisième partie de s’intéresser à la fragilité des requins, animaux aujourd’hui très menacés qui se reproduisent difficilement et dont la  cohabitation avec l’Homme s’avère de plus en plus compliquée. L’article se conclura par un échange avec Edith BERTHIAUME, Biologiste & Responsable de la Pédagogie du Grand Aquarium de Touraine près d’Amboise (37), qui héberge plusieurs espèces de requins et a enregistré en Octobre 2018 la naissance exceptionnelle de requins à pointes blanches.

LE FRISSON DES DENTS DE LA MER

D’abord on distingue une silhouette inquiétante en forme de torpille qui semble surgir de l’ombre et du néant et se déplace avec grâce et sans effort… un peu plus près et on voit se dessiner des ailerons profilés et cette grande nageoire dorsale rigide qu’on imagine bien fendre l’eau de la surface... encore plus près et c’est le spectacle d’une large gueule au sourire carnassier qui s’entrouvre sur des dents acérées et cet œil vide et torve qui semble nous fixer et s’attarder sur nous. On retient son souffle, le temps est comme suspendu ! Puis tel un spectre en apparence indifférent, sa majesté le requin s’éloigne en donnant l’impression de glisser dans l’eau et reprend sa ronde, nous laissant à la fois un peu effrayé mais aussi dans l’attente fébrile de son prochain passage.

Il est temps de faire connaissance avec la terreur des océans, chef d’œuvre de l’évolution dont le statut de super prédateur fascine et effraie !

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MYTHES ET LEGENDES SUR LE REQUIN

(Image : Couverture du livre Les Dents de la Mer de Roger Kastel (1975) - Wikimedia Commons - Public Domain)

D’où vient le nom de ‘requin’ ? Une hypothèse est que ce serait en référence au ‘Requiem’, la prière d’obsèques accompagnant le défunt vers l’au-delà, un emprunt imaginé par les marins pour qui l’arrivée des requins sonnait le glas et qui serait devenu ‘requien’ au 16ème siècle par déformation de la prononciation. Quand au squale, également utilisé pour nommer le requin, il vient du latin ‘squalus’ , adjectif désignant quelque chose d’âpre et hérissé, en référence à la peau du 'chien de mer', l'autre nom que l’on donnait  au requin.

Comme en écho au funeste requiem, le requin est associé dans un grand nombre de cultures à la mort et la terreur, que ce soit au Japon où les pilotes kamikazes de la Seconde Guerre Mondiale peignaient des mâchoires de requins sur les nez de leurs avions ou dans la pop culture occidentale où le film Les Dents de la Mer, réalisé en 1975 par Steven Spielberg, a si durablement marqué les esprits qu’il a presque fait du ‘film de requins’ un genre à part entière avec ses suites et dérivés tels Peur Bleue (1999), l’improbable Sharknado (2013) ou le récent En Eaux Troubles (2018) où Jason Statham  affronte un requin géant préhistorique. Et si il n’est pas forcément le méchant principal du récit, le requin a toujours une place de choix dans les films de pirates ou les dessins animés, sorte de version aquatique du grand méchant loup.

Ce lien avec la mort est également présent dans les cultures du Pacifique qui connaissent et cohabitent avec ces animaux depuis bien longtemps. Le requin y est par contre davantage perçu comme un être bon et profondément respecté. Dans la symbolique Tahitienne il est associé à la sagesse ; chez les maoris, il est un guide bienfaiteur pour le marin perdu en mer ; et en Polynésie, il est symbole de fécondité et une incarnation de l’âme des défunts et des ancêtres. A Hawaï, il est 'Kamo hoa lii', le Dieu requin qui commande à tous les autres requins, peut prendre forme humaine et vient en aide aux marins en péril. Les pêcheurs de ces régions ont d’ailleurs pour tradition de relâcher un peu de leurs prises à la mer pour nourrir les squales et remercier l’océan.

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SURVIVANT DE LA PREHISTOIRE

(Photo : Une mâchoire de mégalodon reconstituée, 3 m de haut et presque autant de large - Julien PIERRE)

Les requins seraient apparus il y a environ 140 millions d’années durant le Jurassique et ont donc survécu à plusieurs extinctions de masse (voir notre article sur la préhistoire) ainsi qu'aux multiples changements subis par les océans (variations de salinité, acidité, température, niveaux des mers) tout en évoluant finalement que peu. Si on remonte encore dans le temps, on trouve même Cladoselache, une forme de requin primitif qui pouvait atteindre 1,80 m et vivait dans les mers de la fin du Dévonien (- 419 à -358 millions d’années). Et tant qu'à évoquer les ancêtres des squales, impossible de ne pas citer le mégalodon (Carcharocles megalodon), version géante et trapue du grand requin blanc actuel qui pouvait atteindre 20 m de long, apparu il y a 28 millions d’années et qui aura survécu pendant plus de… 26 millions d’années ! Diablement résistants nos amis les squales, et ce sans doute en raison de leurs incroyables caractéristiques physiques.

LE REQUIN, CHEF D’ŒUVRE DE L’EVOLUTION ?

(Vidéo - sans son : Images rares d'une chimère filmée dans les abysses de l'Atlantique Sud par plus de 1.400 m de fond - source : Musée océanographique de Monaco - Youtube)

Qu’elles soient marteau ou citron, scie ou tapis, mako ou taureau, les quelques 530 espèces de requins aujourd’hui identifiées appartiennent toutes à la classe des Chondrichtyes, qui regroupe les poissons cartilagineux, une famille complexe et multiple qui a en réalité peu à voir avec les autres poissons. Elle se compose de deux sous-classes : les elasmobranches (requins, raies et pastenagues) et les holocéphales (une unique classe, les chimériformes, se composant de seulement 25 espèces de chimères, étranges poissons vivant au fond des mers dont certains sont munis d’un aiguillon venimeux sur la nageoire dorsale).

On parle aussi de ‘poissons primitifs’ pour désigner les poissons cartilagineux qui ont un squelette fait de cartilage souple, résistant et plus flexible que celui des autres poissons dits ‘osseux’ (munis d’une colonne vertébrale). Leur peau est constituée d’écailles placoïdes qui sont comme une multitude de petites dents pointues, des ‘denticules dermiques’ qui leur donnent une texture proche du papier de verre et constituent un cuir très prisé par l'industrie du luxe, matière connue sous le nom de ‘galuchat’.

Les requins disposent de 5 à 7 fentes branchiales à l’arrière du cou pour respirer : lorsque l’eau pénètre dans la bouche, les branchies sont fermées puis elles s’ouvrent pour expulser l’eau après en avoir retenu l’oxygène nécessaire. A noter que les espèces de requins de haute mer, comme le requin bleu ou le grand requin blanc, doivent nager en permanence pour respirer car leurs seuls muscles respiratoires sont insuffisants pour assurer le bon fonctionnement de ce cycle vital. L’immobilité est pour eux synonyme d’asphyxie, une contrainte dont ne souffrent pas les espèces sédentaires capables de respiration branchiales sans bouger (requins-tapis, requins-scies…) ou par leur évent, aussi appelé spiracle, une petite soupape située à l’arrière des yeux de certaines espèces.

DES DENTS SPECIALISEES QUI REPOUSSENT TOUTE SA VIE

(Vidéo : Le requin baleine - source : National Geographic Wild France sur Youtube)

Tous les requins sont carnivores et leurs dents se sont spécialisées et adaptées aux techniques de chasse et proies favorites de chaque espèce : dents aux bords crénelées pour ceux qui capturent et déchiquètent les proies, à bord tranchant chez les espèces qui coupent net et prélèvent des portions de chair sur leurs cibles, aplaties et imbriquées pour les raies et requins qui se nourrissent de crustacés dont ils broient la coquille. Les dents des requins repoussent toute leur vie durant : lorsqu’une dent est perdue, une nouvelle repousse, avance et prend la place laissée vacante dans sa gueule. Cas particuliers dans la famille, les massifs requins pèlerins et requins-baleines (le plus grand poisson vivant au monde, avec ses 5 à 10 m de long voire parfois le double !) qui sont bien équipés de multiples petites dents mais sans utilité pour leur alimentation. Ces paisibles géants de mers se nourrissent de minuscules animaux marins (plancton et krill) qu’ils capturent en grande quantité à la manière d’un filet dérivant en ouvrant grande leur large gueule puis en filtrant leurs prises grâce à un tamis constitué de fines lamelles sur leurs branchies.

Les requins sont équipés de un ou deux ailerons dorsaux, de nageoires rigides agissant comme gouvernail ou stabilisateurs et d’une puissante nageoire profilée au bout de la queue pour se propulser. Les espèces de  haute mer (marteau, grand blanc, bleu, longimane…) sont de grands navigateurs qui parcourent inlassablement les mers et océans du monde et ont un corps en forme de torpille hydrodynamique.  Organe essentiel chez ces espèces voyageuses, elles ont un gros foie rempli d’une huile légère qui assure leur flottaison (et dont on extrait la squalane, un composé hydratant soit disant ‘miracle’ utilisé pour la fabrication de certains cosmétiques…). Les espèces benthiques (= qui vivent proches du fond) ont un corps plus aplati davantage adapté à leur mode de vie sédentaire.

LES SUPERS-SENS DU REQUIN

(Vidéo : Zoom sur le requin marteau - Source : Le Zapping Sauvage sur Youtube)

Outre leur corps profilé, leurs mâchoires puissantes et leur dentition spécialisée, c’est sans doute leurs supers-sens qui ont permis aux requins de survivre depuis si longtemps. Ils sont en effet dotés de toute une panoplie de détecteurs qui en font des chasseurs de premier plan. Petite revue de cet arsenal à la pointe de l’évolution !

Toute d’abord les requins ont une assez bonne vue mais surtout un excellent ‘odorat’ hyper développé avec deux narines indépendantes qui ‘goûtent’ l’eau et en font une analyse chimique très fine : un grand requin blanc peut ‘sentir’ une goutte de sang dans plus de 4 millions de litres d’eau ! Les squales remuent parfois la tête pour mieux capter les saveurs alentours et ‘sentir’ les goûts les plus alléchants ; la présence de sang en abondance dans l’eau peut même surexciter certaines espèces rendues ivres par cette profusion.

Autre système de surveillance qui équipe tous les poissons de la classe des Chondrychtie, les ampoules de Lorenzini, un réseau d’organes électro récepteurs quadrillant leur gueule et leur tête jusqu’à la première fente brachiale et qui captent les signaux électriques émis dans l’eau.  Le requin-marteau, avec ses excroissances aplaties caractéristiques de part et d’autre de sa tête, les utilise par exemple à merveille pour repérer les raies dont il raffole.

Enfin les requins, comme les autres poissons, sont équipés de ligne(s) latérale(s). Il s’agit d’une ou deux lignes composée(s) de récepteurs sensoriels (les neuromastes) courant le long des flancs de l’animal qui lui permettent de capter les caractéristiques de son environnement, détecter mouvements et obstacles, et s’y adapter automatiquement (courants, température, profondeur, etc…). Ce sont des canaux remplis de liquide et ouverts par des pores qui réagissent aux vibrations puis transmettent instantanément l’information au cerveau via les neuromastes.

LA REPRODUCTION, TALON D’ACHILLE DES REQUINS

(Vidéo (attention, âmes sensibles s'abstenir) : Le cannibalisme intra-utérin chez le requin-taureau - Source : National Geographic Wild France)

Les mâles requins ont deux ‘pénis’, en réalité une paire de nageoires pelviennes dédiées à la reproduction. Après une parade amoureuse et une copulation souvent violentes durant laquelle le mâle mord la femelle pour la stimuler et s’agripper pendant le coït (sa peau à elle est beaucoup plus épaisse), celui-ci va glisser l’un de ses deux organes dans le cloaque de la femelle et y introduire le sperme.

Ensuite et selon l’espèce, la femelle va soit pondre des œufs dans des enveloppes parcheminées (ces œufs de roussettes que l’on retrouve parfois sur les plages), soit conserver les œufs qui vont se développer et éclore en elle juste avant qu'elle ne les expulse (ce que l'on appelle ovoviviparité), voire héberger des embryons dans une structure assimilable à un utérus, comme c'est le cas chez le requin-taureau (dont les petits pratiquent le cannibalisme intra utérin !). 

Quand l’œuf éclot / que le petit naît, c’est déjà une version miniature de l’adulte : il n’y a pas de stade larvaire chez les poissons cartilagineux et s’il est déjà un chasseur dans l’âme, mini requin demeure cependant extrêmement vulnérable aux prédateurs, autres requins compris. C’est sans doute pour cela que les femelles privilégient les atolls, les récifs ou les baies pour mettre bas, des zones qui offrent un peu de protection aux jeunes livrés à eux-mêmes et délaissés par leur mère à la naissance. Les femelles requins-bouledogues vont jusqu’à remonter les rivières peu salées de la zone humide des Everglades en Floride pour donner naissance à leurs petits qui seront ainsi protégés des grands prédateurs du large, les petits gagnant ensuite les eaux plus chaudes au large des côtes.

Voilà peut-être la principale faiblesse de super requin : sa faible capacité reproductive, avec une maturité sexuelle parfois extrêmement tardive (10 ans pour la femelle du requin-marteau halicorne, 30 ans chez le requin-baleine), peu de petits par portée et des cycles de reproduction extrêmement longs (8 à 12 mois de gestation pour le requin-marteau halicorne ; plus de 3 ans et demi pour la femelle de l’étrange et mystérieux requin-lézard).

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1/3 DES ESPECES DE REQUINS AUJOURD’HUI MENACE DE DISPARITION

(Photo : Un requin sur un étal de pêcheur - CampingAourir - Pixabay - CC0)

On estime que 100 millions de requins seraient tués par l'homme chaque année dans le monde, un chiffre vertigineux et alarmant confirmé en Mars 2019 par l’inscription sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature de 58 espèces de requins et de raies directement menacées d’extinction. Victimes (comme nombre d’autres espèces marines) de captures accidentelles par une pêche industrielle peu sélective ou ciblés pour leurs ailerons qui viennent agrémenter les potages asiatiques (le ‘shark finning’), pêchés ‘pour le sport’ pour des concours ou massacrés aveuglément lors d’expéditions punitives en représailles à des attaques, il n’est pas grand monde pour s’émouvoir de la lente agonie des requins. Loin d’être exemplaire dans ce carnage, la France est, avec l’Espagne et le Portugal, un des principaux pays européens à pêcher le requin, dont la chair est commercialisée sur nos étals et selon l’espèce sous les noms de ‘saumonette’, ‘veau de mer’ ou encore ‘chien de mer’.

En Septembre 2022, la 19ème conférence internationale sur le commerce des espèces menacées a toutefois décidé de l'inscription d'une cinquantaine d'espèces de requins et toutes les raies d'eau douce sur la liste de la Cites : concrètement c'est une bonne nouvelle pour les espèces concernées qui étaient pêchées de façon anarchique car elles vont dorénavant bénéficier de quotas pour limiter les prélèvements.

Les attaques de requins sont une réalité d’autant plus angoissante et marquante qu’elles ont lieu dans l’eau (qui n’est pas, c'est une réalité, notre élément naturel), parfois à proximité de plages fréquentées et qu’elles mutilent souvent gravement  leurs victimes. On parle même de la ‘crise requin’ à La Réunion qui a impacté durement l’économie de l’île qui vit dans la psychose des attaques de squales : 17 accidents recensés depuis 2011 dont 7 se sont avérés mortels.

Le sujet est éminemment sensible mais appelle cependant à quelques nuances, non pour minorer la souffrance bien réelle des personnes touchées par ces accidents dramatiques mais du moins inscrire ces attaques dans un contexte global où les possibilités de rencontres entre hommes et requins se multiplient du fait du développement des loisirs nautiques pratiqués sur les territoires des requins, du 'shark feeding' (on nourrit les requins d'appâts pour les observer au plus près), de la raréfaction générale des ressources en poissons ou encore des rejets d’eaux usées et déchets dans la mer dont les saveurs vont attirer les squales. 

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CONSEILS POUR EVITER UNE ATTAQUE DE REQUIN !

(Photo : Requin-taureau - Julien PIERRE)

Quelques chiffres permettent également de relativiser la dangerosité des requins : vous avez ainsi plus de chances de gagner le gros lot au Loto que de vous faire mordre et à titre comparatif, on recense dans le monde en moyenne 1,5 Millions de décès par an à cause des moustiques contre 100.000 par des morsures de serpents et… 10 par des attaques de requins.

Et si définitivement vous avez la psychose du requin, respectez déjà ces quelques règles de sécurité rappelées par l’association Longitude 181 Nature qui œuvre pour la protection du milieu marin et ses habitants :

  • Pas de baignade tard le soir ou tôt le matin ni après de fortes pluies ou en cas de forte houle qui trouble la mer.
  • Respecter les zones autorisées de baignade et signaux des drapeaux.
  • Eviter de se baigner à proximité des zones portuaires où sont balancés appâts et déchets.

CINQ QUESTIONS A EDITH BERTHIAUME, BIOLOGISTE AU GRAND AQUARIUM DE TOURAINE (37)

(Vidéo : Images en immersion des bébés requins à pointes blanches du Grand Aquarium de Touraine ; source : Grand Aquarium)

La connaissance des requins est sans doute la meilleure arme pour lutter contre la peur qu’ils provoquent. Pour clore ce dossier, nous posons donc quelques questions à Edith BERTHIAUME, biologiste et responsable de la pédagogie au Grand Aquarium de Touraine près d’Amboise (37), bel  aquarium qui vient de fêter ses 25 ans et propose de découvrir les poissons et espèces aquatiques de la Loire jusqu'aux mers lointaines. Il héberge notamment des requins à pointes noires (Carcharhinus melanopterus) et pointes blanches (Carcharhinus albimarginatus) dans un spectaculaire tunnel marin de 300.000 litres.

Interview : 

Vous hébergez des requins pointes blanches et des requins pointes noires. Pouvez-vous nous présenter ces deux espèces ?

Edith BERTHIAUME : Ce sont deux petites espèces de requins d’environ 1,50 mètres qui fréquentent les récifs coralliens de l’Indopacifique. Ils ont des comportements bien distincts, le requin pointe blanche, aussi surnommé requin dormeur est souvent retrouvé sur les fonds immobiles tandis que le requin pointes noires est constamment en mouvement, la plupart du temps à la surface. Cette différence est expliquée par le fait que les pointes noires doivent nager activement pour apporter suffisamment d’oxygène au niveau de leur branchie, contrairement aux pointes blanches.

Plutôt réputé pour son caractère imprévisible, peut-on décrypter le comportement d’un requin et anticiper son agressivité ou voir si il ressent des émotions ?

EB : Lorsqu’il nous est possible d’observer un requin avant une attaque, on peut percevoir des signes avant-coureurs.  L’animal peut procéder à des avertissement physiques en bousculant son adversaire ou il peut présenter certains comportements ; charges d’intimidation, virages brusques ou nage saccadée.

Vos requins cohabitent avec plusieurs autres espèces de poissons dans l’aquarium et on est surpris de cette apparente entente les requins et leurs proies potentielles… Comment on parvient à cette coexistence ?

EB : Nous nourrissons tous les jours les poissons du bassin où se trouvent les requins, cela nous permet d’observer le comportement de nos pensionnaires et d’ajuster la quantité de nourriture en fonction. Par exemple, en période estivale lorsque la température augmente, il arrive que les requins viennent à proximité lorsque nous nourrissons les autres poissons, dans ces cas, nous ajustons les portions lors des nourrissages hebdomadaires ou prévoyons un nourrissage supplémentaire. Il y a aussi plusieurs cachettes prévues dans le bassin où les poissons peuvent se réfugier.

Vous avez connu un heureux événement chez vos requins pointes blanches (espèce au statut 'Quasi menacé' à l'état naturel). Comment avez-vous géré l’accouplement (qui peut être violent chez certaines espèces) ? Pouvez-vous nous en dire plus sur ces naissances exceptionnelles et comment vous les avez accompagnées ?

EB : Dès que nous avons constaté les premiers signes d’accouplement (morsure sur la nageoire dorsale de la femelle) et ventre gonflé, nous avons mis en place une surveillance quotidienne renforcée.  Nous avons constaté la naissance des bébés le 23 mai 2018 à notre arrivée à l’aquarium. Nous les avons tout de suite transférés en quarantaine afin d’effectuer un meilleur suivi sur leur état de santé et leur alimentation.

A la fois fascinants et effrayants, les requins ont une mauvaise réputation tenace. Comment les présentez-vous au public de l’aquarium ?

EB : Notre objectif premier est de démystifier les idées reçues sur les requins. Nous voulons promouvoir le rôle écologique indispensable qu’assure ces prédateurs dans les écosystèmes marins. Des affiches et le discours des animateurs visent à démontrer que les requins ont beaucoup plus à craindre de l’homme que l’inverse. Nous avons d’ailleurs deux ateliers qui permettent de sensibiliser les enfants ; l’atelier « Requins » et « Poissons à table ». 

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A QUOI SERVENT LES REQUINS ?

(Photo : Requin-taureau - Fanny GOUMARD)

Si on s'alarme de la disparition des requins dans les océans du Monde, c'est que l'on prend progressivement conscience de leur rôle complexe et déterminant dans l'équilibre de la chaîne alimentaire. Après tout, qu'aurait-on à perdre avec la disparition de ces grands prédateurs, qui nous garantirait des mers 'plus sûres' ?

C'est que les requins, grands prédateurs qui siègent tout en haut de la chaîne alimentaire, ont un rôle écologique majeur de régulation. Et comme un château de cartes qui s'effondre, si on les soustrait des écosystèmes, c'est tout l'équilibre qui se dérègle. Voici pour finir quelques exemples concrets qui illustrent ce rôle vital.

Prenons les squales qui vivent autour des massifs coralliens : ils y chassent et régulent les autres espèces carnivores comme les mérous. Moins de requins = plus de mérous, qui prélèvent davantage de poissons herbivores ; hors ces herbivores broutent les herbes et nettoient le récif, permettant au corail de respirer. Par voie de conséquence, la disparition des requins entraîne donc l'asphyxie du corail et la mort progressive du récif. Par extension, tous les requins gardent sous contrôle certaines espèces qui sinon tendrons à prolifèrer, comme par exemple les raies aigles qui pullulent le long de la Côte Est américaine et se nourrissent de coquilles Saint-Jacques et de palourdes. La raréfaction des grands requins comme le grand blanc ou le tigre, dont elles sont une proie favorite, met au final les pêcheurs de coquillages américains au chômage. Quant aux requins de grande taille qui vivent en haute mer ils ont souvent des comportements charognards : comme des vautours, ils nettoient les océans des individus malades et des cadavres en décomposition, stoppant la propagation de maladies. 

Même si on ne les aime guère, il est donc primordial de mieux protéger les requins pour faire en sorte que 'Les Dents de la Mer' demeurent 'L'aidant de la Mer'...

 

Pour aller plus loin :

Le Grand Aquarium de Touraine (37)

Longitude 181, Association de protection de l'océan

Jouer au Sharkoquiz Anigaïdo

Crédit article : Julien PIERRE & Edith BERTHIAUME (Biologiste et Responsable Pédagogique au Grand Aquarium de Touraine)

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