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Photo d'un lémur couronné par Julien PIERRE

Lemuriens, les spectres de l'Île rouge

15 Octobre 2018

(Photo : Lémur couronné - Julien PIERRE)

Une allure étrangement humanoïde, des mouvements silencieux pour se déplacer dans l’obscurité, d’immenses yeux ronds dotés d’une couche cristalline derrière leur rétine qui reflète la lumière, et toute une gamme de cris et vocalises étranges et inquiétants : les lémuriens sont des animaux étonnants qui font penser à des fantômes. A Madagascar, les habitants disent d’ailleurs qu’ils incarnent l’âme de leurs ancêtres. En 1758, lorsque le naturaliste Carl von Linné décrit le premier des espèces de ces curieux primates, il décide logiquement de les nommer lémuriens d’après le terme latin lemures, en écho aux légendes malgaches, car dans la symbolique romaine les lémures représentent les ombres des ancêtres qui hantent les souvenirs et les rêves.

Photo d'un loris lent - Public Domain - Wikimedia Commons

SINGES ARCHAÏQUES OU 'VRAIS' PRIMATES ?

(Photo : Loris lent - Wikimedia Commons - Public Domain)

L’existence des lémuriens est indissociable de l’histoire de Madagascar, grande île de l’Océan Indien un peu plus grande que la France qui s’est détachée du continent africain il y a 160 millions d’années et l’unique endroit au monde, avec Mayotte et les Comores, où l’on trouve ces animaux.

Les lémuriens sont des prosimiens, un sous-ordre des primates plus primitif que les singes dans lequel on classe également les pottos et les galagos africains et les mignons loris d’Asie du Sud Est (cf photo). Comme les singes, les prosimiens ont des mains et pieds agiles capables de saisir, aux ongles plats (sauf le aye-aye) et adaptés à leur mode de vie arboricole. Leur odorat est plus développé que celui des singes et ils utilisent beaucoup les odeurs pour communiquer entre eux. Ils ont en commun un petit museau qui fait penser à un chien, de grands yeux et une excellente vue adaptée au mode de vie nocturne, ainsi qu’un cerveau proportionnellement plus petit que celui des singes. Les espèces de taille moyenne ou grande sont herbivores (feuilles, herbes, racines, fruits, etc…) tandis que les espèces de taille réduite chassent et mangent des insectes notamment. Les lémuriens représentent 20 % du total des espèces de primates.

Il existe une grande diversité d’espèces chez les lémuriens, qui s’explique sans doute par la longue période d’isolement de l’île qui a accentué l’hyper adaptation des individus à des environnements spécifiques.

Les scientifiques estiment que des adapiformes, des primates primitifs et probables ancêtres des lémuriens, seraient arrivés sur Madagascar il y a 65 à 62 Millions d’années en dérivant depuis le continent africain sur des radeaux végétaux. Une fois sur place et sans la concurrence d’autres animaux (ni des hommes, arrivés il y aurait seulement 3-4.000 ans sur l’île depuis l’archipel indonésien), ils ont alors évolué en s’adaptant aux nombreux biotopes de l’île (montagne, forêt tropicales, zones semi-arides,…) jusqu’à en occuper toutes les niches écologiques et se décliner en un grand nombre d’espèces (111 recensées à ce jour) de toute tailles : d’une petite dizaine de cm pour 30 gr pour le microcèbe de Mme Berthe, le plus petit primate du monde, à 150 kg pour le grand lémurien qui pouvait atteindre la taille d’un gorille adulte, un paisible herbivore géant aujourd’hui disparu.

Dans les parcs animaliers il est aujourd’hui relativement courant d’apercevoir le fantasque lémur catta et sa queue annelée ou le magnifique lémur vari à la si belle fourrure. En revanche, pour apercevoir le aye-aye, le sifaka de Verreaux ou l’indri, il vous faudra faire le voyage.

Aye-Aye - AdobeStock_127355296

LE AYE-AYE

(Photo : Aye Aye - Adobe photostock)

Le Aye-Aye a des yeux immenses, des grandes oreilles, de longs poils noirs et une longue queue hirsute de 40 cm (aussi longue que son corps). Son allure étrange et son mode de vie nocturne (c’est le plus grand primate nocturne au monde) l’ont longtemps desservi, certaines légendes malgaches en faisant un animal maléfique porteur du mauvais sort. Ce mythe est renforcé par le fait que son immense majeur, d’une longueur démesurée par rapport aux autres doigts – et qui lui sert en fait à tapoter les troncs pour repérer les tunnels des larves dont il se nourrit, est utilisé pour la sorcellerie. Le aye-aye est un rôdeur solitaire et discret présent dans les zones forestières du nord ouest et de l’est de Madagascar, où il n’a été découvert qu’en 1957. Victime de sa mauvaise réputation il est aujourd’hui en danger d’extinction.

Photo de propithèques de Verreaux par Leonora (Ellie) Enking - Flickr - CC BY- SA 2-0

LE SIFAKA DE VERREAUX

(Photo : Propithèque de Verreaux - Leonora (Ellie) Enking - Flickr - CC BY- SA 2.0)

Le propithèque de Verreaux, aussi appelé sifaka (nom inspiré par le son de ses vocalises pour communiquer entre individus), est un grand membre de la famille qui peut mesurer jusqu’à 48 cm de long et un gracile athlète capable de bonds spectaculaire  de 10 m dans les arbres, propulsé par ses cuisses puissantes. Il est aussi célèbre pour sa manière de se déplacer au sol, de longs pas chassés de danseur étoile, utilisant son immense queue (jusqu’à 60 cm) pour s’équilibrer. On ne trouve ce beau lémurien au pelage blanc et calotte brune que dans certaines forêts épineuses de l’ouest et du sud ouest de l’île. Végétarien, il se désaltère dans ce milieu semi-aride grâce aux plantes succulentes qu’il ingère et en recueillant les gouttes d’eau sur son pelage soyeux. Ce lémurien diurne et sociable est en danger d’extinction en raison de la disparition de son habitat. Il fait partie des neuf espèces de propithèques identifiées à ce jour, qui sont toutes malheureusement très menacées.

Photo d'un indri par Laika ac - Flickr - CC BY-SA 2-0

L'INDRI

(Crédit photo : Indri - Laika ac - Flickr - CC BY-SA 2-0)

Si on évoquait en début de cet article le lémurien géant aujourd’hui disparu, le plus grand lémurien actuellement vivant est l’indri ou babakoto, un beau bébé au soyeux pelage noir et blanc qui peut mesurer jusqu’à 72 cm pour un poids de 6 à 7 kg. Il a une toute petite queue, des membres postérieurs très puissants lui permettant de sauter d’arbre en arbre et des grandes oreilles arrondies surmontées d’une abondante touffe de poils. On le trouve dans les forêts tropicales humides du nord est et du centre est de Madagascar où il se nourrit de feuilles, fruits, graines ou fleurs. Contrairement au aye-aye, l’indri bénéficie lui de mythes et légendes positifs auprès des populations locales qui en ont fait un animal sacré, malheureusement insuffisants pour enrayer son déclin et faire que cette espèce est aujourd’hui en danger critique d’extinction.

Photo d'un feu de brousse à feu de brousse Bongolava, Madagascar - Fitiamg - Wikimedia Commons - CC BY-SA 4-0

MADAGASCAR, PARADIS EN SURSIS

(photo : feu de brousse Bongolava Madagascar - Fitiamg - Wikimedia Commons - CC BY-SA 4-0)

Les lémuriens n’existent qu’à Madagascar, cette île au sud est de l’Afrique un peu plus grande que la France et qui est un paradis de la biodiversité : plus de 80 % des espèces de plantes et d’animaux y sont endémiques, c’est à dire qu’elles n’existent nulle part ailleurs dans le monde. Si les lémuriens sont un emblème fort et un vecteur d’éco tourisme bienvenu pour l’île, elle héberge également 2/3 des espèces de caméléons, la tortue à soc (en danger critique d’extinction) et la tortue étoilée de Madagascar, l’étrange fossa, 107 espèces d’oiseaux endémiques ou encore 245 espèces de grenouilles uniques au monde. Fruit de l’isolement géographique de l’île depuis des millions d’années, plantes et animaux y ont évolué de façon spécifique, s’adaptant et se déclinant également selon la mosaïque des climats, biotopes et reliefs de Madagascar : zones du centre de l’île accidentées et souvent inaccessibles pour l’homme, chaîne montagneuse des Hautes Terres qui parcoure l’île du nord au sud et la coupe en deux, forêts tropicales humides à l’est le long d’une étroite bande côtière, forêts tropicales sèches à l’ouest, bush semi aride au sud, delta et zones de mangroves sur le littoral ouest, et région du nord volcanique et montagneuse.

Cet incroyable paradis terrestre constitue une formidable richesse mais il est malheureusement en sursis. Madagascar est une île Etat qui a connu récemment encore une forte instabilité politique dans un contexte économique en berne, le pays étant classé parmi les cinq pays les plus pauvres du monde. Les maux sont multiples et complexes et la situation extrêmement préoccupante sur le plan environnemental, menaçant la survie d’un grand nombre d’espèces – voir l’article ‘Alerte rouge pour les lémuriens de Madagascar’. De nombreuses associations et ONG travaillent de concert avec le gouvernement sur place pour tenter de préserver ce formidable patrimoine et concilier développement économique et durable. De tous ces efforts conjugués dépend aujourd’hui la survie des esprits de la forêt.

Crédit article : © Julien PIERRE

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